LE FEDERALISME FISCAL

Australie, Canada, Etats-Unis, Inde

Les aspects fiscaux du droit budgétaire

Arvind Ashta

Copyright : Arvind Ashta, 1997

INTRODUCTION

CHAPITRE II  : LA FISCALITE

Etant donné que le terme "fiscalité" diffère de l'anglais au français, que l'importance de la fiscalité dans l'économie s'accroît, et que l'étendue d'une étude sur le fédéralisme fiscal sera déterminée par le sens de la qualification "fiscal", nous commençerons par préciser la définition de la fiscalité adoptée (Section I). Ensuite, nous étudierons les fonctions de la fiscalité (Section II) pour apprécier les fonctions du mécanisme du fédéralisme fiscal.

  1. La définition de la fiscalité

La définition de la fiscalité sera déterminée par le sens attaché au mot (§1) ainsi que par l'étendue observée dans la pratique (§2).

    1. §Le sens de la fiscalité

L'étymologie est latine : "Fisc  : du latin fiscus : panier (pour recevoir l'argent)(55)". Cependant, le sens diffère du français (a) à l'anglais (b). Pour être plus précis, signalons que le sens français est plutôt lié à la notion anglaise de "taxation" (c).

          1. Le sens français de la "fiscalité"

Selon le Larousse pluri dictionnaire : "Fiscal : se dit d'une chose relative aux impôts" et "fiscalité : 1. système d'après lequel sont perçus les impôts; 2. ensemble des charges de l'impôt."

Selon le Grand Larousse : "Fiscalité : 1. Système de perception des impôts; 2. ensemble des lois qui se rapportent aux impôts" et "fiscal : 1. Relatif au fisc, à l'impôt; 2. Droit fiscal, branche du droit public relative à l'assiette, à la liquidation et au recouvrement des impôts et taxes de toute nature." et "fisc : ensemble des administrations chargées de percevoir, de fixer et de repartir des impôts."

Selon Le Robert - Dictionnaire de la langue française  : "Fiscalité : Système fiscal; ensemble des lois, des mesures relatives au fisc, à l'impôt" et "fiscal : Qui se rapporte au fisc, à l'impôt" et "fisc : L'Etat considéré comme titulaire de droits de puissance publique, de pouvoirs de contrainte sur le contribuable. Cour. L'ensemble des administrations chargées de l'assiette, de la liquidation et du recouvrement des impôts."

Selon le Lexique fiscal "Fiscalité : ensemble des lois, règlements, procédures et pratiques administratifs relatifs à l'impôt. Le parlement dispose seul du pouvoir de fixer les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impôts. Dans le cadre de la loi, le gouvernement en définit l'application par voie réglementaire.

La fiscalité dispose de plus en plus de cadres internes : des conventions entre Etats tendent à éviter les doubles impositions, des directives s'imposent aux gouvernements des Etats membres de la Communauté Economique Européenne.(56)"

Selon Jean-Claude Maitrot(57), "le droit fiscal apparaît comme la branche du droit qui régit cette activité particulière de l'Etat qui consiste à procurer à la puissance publique, à titre définitif, des ressources financières par un prélèvement autoritaire et sans contrepartie".

De ces définitions, il ressort qu'en français, la fiscalité est liée aux impôts.

En revanche, le sens anglais du mot de la même étymologie est plus vaste.

          1. Le sens anglais du "fiscal"

Selon l'Oxford Advanced Learner's Dictionary of Current English  : "fiscal  : of public revenue", c'est-à-dire que le mot "fiscal" est un adjectif qui concerne les recettes publiques. Ce qui concerne les recettes publiques n'est pas limité aux impôts, taxes et droits, il comprend également sa contrepartie - la dépense(58). Même dans le contexte limité des recettes proprement dites, les ressources des nations comprennent aussi l'impression de la monnaie, la vente des actifs, l'approvisionnement des services tels que la poste ou le transport, les intérêts sur l'argent prêté et les bénéfices des entreprises publiques.

L'Encyclopaedia International, 1969(59), est plus lucide sur ce point. Selon elle, la politique fiscale se réfère à l'utilisation du budget gouvernemental pour stabiliser l'économie. Sa portée comprend la "taxation", les dépenses gouvernementales et les emprunts gouvernementaux (la gestion de la dette publique). Un déficit est le résultat soit d'une réduction des impôts soit d'une augmentation des dépenses. Le mode de financement peut aussi avoir des conséquences. Par exemple, si le gouvernement emprunte à des banques commerciales, la quantité de monnaie sera augmentée. En revanche, si le gouvernement emprunte à des individus ou à des institutions d'épargne, ceci peut réduire la consommation ou l'investissement qui peuvent alors compenser les effets économiques du déficit.

Ainsi, le sens anglais de "fiscal" est plus proche de la notion française de droit budgétaire que de celle de fiscalité.

          1. Le sens anglais de la "taxation"

Selon l'Oxford Advanced Learner's Dictionary of Current English  : la "taxation" est un système pour procurer de l'argent au moyen des "impôts"; et les "impôts" sont les sommes d'argent à payer par les citoyens au gouvernement pour les buts publics.

Selon la Constitution indienne (Art.366, §28), la "taxation" comprend l'institution d'un impôt ou d'une taxe, soit général soit spécifique soit local.

Ainsi, la notion anglaise de la "taxation" est celle de la "fiscalité" française.

    1. §L'étendue de la fiscalité

L'étendue de la fiscalité a un double sens, il comprend son contenu (A) et son importance (B).

          1. Le contenu de la fiscalité

Le contenu de la fiscalité est lié au sens que l'on donne au mot (sens anglais ou sens français). Dans le sens français, la fiscalité ne concerne même pas toutes les recettes publiques. Selon Jean-Claude Martinez et Pierre di Malta, il y a une distinction entre la fiscalité, la néo-fiscalité, la para-fiscalité et les autres recettes publiques(60). Si ceci rétrécit la zone de la fiscalité, il l'élargit par six questions : l'impôt est prélevé sur qui? jusqu'à où? comment? à qui ? pour faire quoi? et pour qui?(61) La fiscalité est alors un instrument de redistribution et donc un instrument politique.

Quant au sens anglais du mot, il est encore plus large que la définition française élargie puisqu'il comprend tous les éléments du droit budgétaire.

Le concept de "fiscalité économique" développé par J.-C. Dischamps essaie de relier les deux notions (anglaise et française) de la fiscalité. Selon lui,

"les discussions en commissions des Finances, à l'Assemblée et au Sénat, ne se contentent pas d'une analyse détaillée des crédits ouverts aux départements ministériels et de chacun des articles de la loi de finances introduisant, supprimant ou aménageant des recettes fiscales; elles mettent de plus en plus en évidence la solidarité d'ensemble d'un projet de budget dont l'économie ne peut être arbitrairement modifiée, ni en ce qui concerne l'équilibre général des recettes et des dépenses, ni pour ce qui est des parts respectives des diverses catégories de recettes fiscales dans l'ensemble des recettes ou les détails de leurs aménagements.(62)"

Le champ d'application de la fiscalité peut aussi être clarifié en examinant un plan de présentation du sujet. Par exemple, l'oeuvre de MM. J-C Martinez et P. di Malta(63) présente le sujet de la façon suivante :



Tome I : L'impôt, le fisc, le contribuable

Titre introductif - Le phénomène fiscal

Chapitre I - Les sources du phénomène

Chapitre II - Les approches du phénomène fiscal

Première partie : Les acteurs du droit fiscal

Titre I - Les acteurs d'élaboration du droit fiscal

Chapitre I - La description des acteurs

Chapitre II - L'action menée par les acteurs

Titre II - Les acteurs des applications du droit fiscal

Chapitre I - L'administration fiscale

Chapitre II - Le contribuable

Tome 2 : Les impôts, le droit français, le droit comparé

Deuxième partie : Les règles du droit fiscal

Titre I - Les règles du droit fiscal français

Chapitre I - La fiscalité de l'Etat

Chapitre II - La fiscalité locale

Titre II - Les règles du droit fiscal comparé

Chapitre I - La diversité des systèmes fiscaux

Chapitre II - Le rapprochement des systèmes fiscaux



          1. L'importance de la fiscalité

L'importance de la fiscalité est déterminée par sa part dans l'économie. Cette dernière a augmenté considérablement dans la première moitié de ce siècle. J.-C. Dischamps(64) signale qu'en France, les dépenses publiques ne représentaient que 11% du PNB en 1860 et étaient toujours à 11% du PNB en 1910. Cependant, en 1960, elles sont passées à 37% du PNB.

Pour les quatre pays étudiés, le tableau 3 suivant indique l'importance de la fiscalité. Il est évident que le secteur gouvernemental joue un rôle très important dans tous les pays, surtout dans les pays développés où les recettes gouvernementales représentent 36% à 39% des recettes totales et où les dépenses gouvernementales sont même plus importantes. Même en Inde, la dépense gouvernementale de 28,3% ne semble restreinte que par l'incapacité de taxer les individus dans un pays en voie de développement.

Tableau 3 : La part de la fiscalité dans l'économie : l'importance du secteur gouvernemental (tous niveaux)

Australie Canada Etats-Unis Inde
Année 1990-91 1989 1991 1990-91
Monnaie en milliards $ A $ C $ E-U Rs.
PIB 380 653 5 668 4 756
Recettes gouvernementales 139 256 2 127 1 118
Dépenses gouvernementales 130 278 2 381 1 347
Impôts 117 187 1 167 879
Pourcentage % % % %
PIB 100,0 100,0 100,0 100,0
Recettes gouvernementales 36,7 39,2 37,5 23,5
Dépenses gouvernementales 34,3 42,6 42,0 28,3
Impôts 30,8 28,7 20,6 18,5












Source : Voir Chapitre 1.2.2

Note : pour les Etats-Unis, le revenu personnel est utilisé au lieu du PIB.

Cependant, l'importance de la fiscalité ("impôts") varie considérablement d'un Etat à un autre. En Inde, c'est la ressource la plus importante de l'Etat, alors qu'au Canada et même aux Etats-Unis, l'Etat participe aussi aux régimes d'assurances-sociales.

Neanmoins, dans tous les pays, l'importance de la fiscalité s'est considérablement accrue au fil du temps (Annexes 1.4 à 1.7).

En Australie, les impôts ne réprésentaient que 5,6% du PIB au début du siècle. Ils représentent actuellement 31,5% du PIB (Annexe 1.4). Au Canada, les impôts sont passés de 13.4% du PIB en 1926 à 36.3% du PIB en 1993 (Annexe 1.5). Aux Etats-Unis, les impôts sont passés de 14,5% du PIB en 1927 à plus de 40% en 1991 (Annexe 1.6). En Inde, les impôts ne représentaient que 9.6% du PIB en 1961-62. Ils sont montés à 18.2% du PIB en 1992-93 (Annexe 1.7).

Si l'importance de la fiscalité s'est autant accrue, c'est parce qu'elle a de nombreuses fonctions.



  1. La fonction de la fiscalité

Les fonctions de la fiscalité peuvent être regroupées en deux grandes catégories : d'une part, un instrument de la communauté de financement des dépenses (§1), et d'autre part, un instrument de contrôle économique (§2).

    1. §Un instrument de la communauté

A son origine(65), la fiscalité était utilisée par les rois égyptiens pour le financement des dépenses communes par les assujettis dans le seul but du maintien du roi et de son empire. C'était pour la conservation de son domaine personnel que le roi avait construit des routes et qu'il avait entretenu des armées. Pour assurer l'ordre et pour faciliter l'expansion de l'économie, et donc l'expansion de "ses" ressources fiscales, il avait créé des législations et des institutions judiciaires pour régler les conflits.

Aujourd'hui, l'Etat démocratique a simplement perpétué la tradition du financement en commun des dépenses. Bien sûr, la nature des dépenses communes a évolué. En outre, elles ne sont plus simplement à caractère ouvertement économique, mais aussi politique : le maintien du parti politique au pouvoir passe désormais par des programmes d'aide à des électeurs inactifs économiquement (tels que les retraités, les chômeurs, les étudiants et les stagiaires).

    1. §Un instrument de la politique économique

"La fiscalité ...agit sur le milieu socio-économique au moins autant qu'elle réagit à lui"(66). La fiscalité, devenue l'instrument économique le plus important, remplit trois rôles : l'allocation des ressources, le contrôle du niveau économique et la redistribution(67)

          1. Instrument pour l'allocation des ressources

Le problème de l'allocation des ressources présente deux dimensions. Premièrement, le gouvernement essaie de changer le partage entre les ressources privées et les ressources publiques par la fiscalité ou par des emprunts pour fournir des services publics. Deuxièmement, à l'intérieur du secteur privé, le gouvernement essaie de changer l'allocation des ressources, par la voie des impôts, des dépenses fiscales et des subventions, pour établir un système d'incitations et des facteurs décourageants afin d'influencer les décisions privées d'allocation des ressources.

          1. Instrument de contrôle du niveau économique

Depuis Keynes, l'importance de la fiscalité sur le contrôle du niveau économique (le niveau de l'emploi et la stabilisation des prix) est connue. Cependant, Keynes a vu un double mécanisme de la fiscalité : par la voie des impôts et par la voie des dépenses publiques.

La logique veut qu'une réduction des impôts augmente le revenu disponible des individus. Ceteris paribus, ils peuvent épargner plus ou dépenser plus. Dans la mesure où ils augmentent leur consommation, le revenu du vendeur est augmenté. Ce dernier, à son tour, peut utiliser son augmentation de revenu pour dépenser un peu plus, augmentant ainsi le revenu d'un autre vendeur.... Alors, une réduction de l'impôt bénéficie à l'économie par un multiplicateur qui varie selon la propension marginale des individus à consommer. Inversement, une augmentation des impôts réduit le revenu de chaque personne dans la chaîne et ainsi, de la société.

Comme la chaîne créée par une réduction des impôts, une augmentation des dépenses gouvernementales suscite une augmentation de revenu pour le vendeur et augmente sa capacité à dépenser, et augmente, ainsi, les revenus des autres. De façon évidente, une diminution des dépenses gouvernementales produit l'effet inverse. Donc, pour stimuler l'économie, l'Etat doit dépenser plus d'argent. L'effet de cette stimulation est un peu mitigé si l'augmentation des dépenses est financée par une augmentation des impôts. Inversement, pour réduire les effets d'une expansion trop rapide et de l'inflation, l'Etat doit réduire ses dépenses.

          1. Instrument de la redistribution

Les vertus du rôle fiscal de l'Etat sur le niveau de la vie économique étant établies, il faut signaler que l'Etat est aussi dans la position de déterminer qui bénéficie de l'augmentation de la vie économique et qui va payer pour cette augmentation. C'est-à-dire que l'Etat fiscal est un agent de la redistribution, soit par la voie des impôts, soit par la voie des dépenses.

C'est l'Etat qui décide qui va payer pour le financement de son budget et ceci de deux façons. Premièrement, la nature de l'impôt levé détermine le contribuable. Seuls les consommateurs d'un bien paient un impôt sur ce bien et seules les personnes gagnant un revenu paient les impôts sur le revenu des personnes physiques. Par exemple, un impôt sur le revenu des personnes physiques n'est pas payé par la plupart des étudiants, alors qu'un impôt sur les livres n'est pas payé par les analphabètes en Inde. Deuxièmement, l'impôt peut être progressif ou dégressif, c'est à dire qu'il peut frapper les individus riches ou les individus pauvres. Les exonérations, les déductions et les taux de l'impôt ainsi que sa nature-même déterminent le degré de la dégressivité ou de la progressivité de l'impôt.

Evidemment, l'Etat choisit les secteurs qu'il veut favoriser. Par exemple, les dépenses militaires et l'accroissement des fortunes des sociétés productrices d'armes étaient justifiés par le prétexte de la guerre froide. Ainsi, l'Etat est dans la position d'influencer, par la voie de la fiscalité, la distribution des bénéfices économiques ainsi que leur financement. Il peut également soutenir la croissance de toute l'économie. Dans le contexte du fédéralisme, l'Etat fédéral est dans la position d'influencer le progrès de la fédération toute entière ainsi que la distribution des gains entre les Etats fédérés. Donc, dans le fédéralisme, la fonction redistributive de la fiscalité a un aspect régional plus prononcé parce que les collectivités régionales participent d'une façon plus active au fonctionnement de l'Etat fédéral que dans un Etat unitaire.

Ayant défini les termes "fédéralisme" et "fiscal", nous pouvons maintenant déterminer ce qu'est "le fédéralisme fiscal".

55. Lexique Fiscal, Dalloz, Paris, 1992.

56. ibid.

57. Jean-Claude MAITROT, Droit Fiscal, in Encyclopaedia Universalis, Paris, 1989.

58. Harry KITCHEN, Ontario: Provincial Public Finances, in Melville McMILLAN ed. Volume I Provincial Public Finances: Provincial Surveys, Canadian Tax Foundation, Toronto, 1991, p.174.

59. Economic Stabilisation Policies, in Encyclopaedia International, 1969.

60. Jean-Claude MARTINEZ et Pierre DI MALTA, op. cit., 1986, tome 1 p 86.

61. ibid. tome 1, p.138.

62. J-C DISCHAMPS, Fiscalité Economique in Encyclopaedia Universalis, Paris, 1980, p.138.

63. Jean-Claude MARTINEZ et Pierre DI MALTA, op. cit., 1986.

64. J-C DISCHAMPS, op. cit., 1980.

65. André NEURISSE, Histoire de l'impôt, in Que sais-je ?, n651, PUF, Paris, 1978.

66. J-C DISCHAMPS, op. cit, 1980.

67. James CUTT, British Columbia  : Provincial Public Finances, in Melville McMILLAN ed. Volume I Provincial Public Finances: Provincial Surveys, Canadian Tax Foundation, Toronto, 1991, p.299.



Début: INTRODUCTION

CHAPITRE I de l'introduction : LE FEDERALISME

CHAPITRE II de l'introduction : LA FISCALITE

CHAPITRE III de l'introduction : LE FEDERALISME FISCAL



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Copyright 2002 Arvind Ashta, Professor Groupe ESC Dijon-Bourgogne, Visiting Faculty at American Business School, Paris and at the University of Paris 6 (Pierre et Marie Curie)